Que sait-on des sikhs au Québec?

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Que sait-on des sikhs au Québec?

Photos: Embargo

Les médias québécois et canadiens offrent peu d’informations sur le sikhisme, ou s’ils le font, c’est surtout pour mettre en relief un aspect vestimentaire ou traditionnel dénotant des us et coutumes ou posant des problèmes juridiques en certains cas. Pourtant la communauté sikhe, principalement penjabi, occupe une place plus importante dans les médias depuis que quatre ministres sikhs ont fait partie du cabinet du premier ministre Trudeau et que Jagmeet Singh est le chef du NPD. Toutefois, un embargo d’informations sur cette religion demeure : peu de médias prennent véritablement la peine de situer le sikhisme. Cette religion est pourtant pratiquée au Canada, dans le cadre des minorités visibles, en troisième position après l’hindouisme et l’Islam selon Statistique Canada[1]. Cela concernerait un peu plus de 12 000 personnes à Montréal (Castel, 2007). Hormis ces données démographiques, que sait-on des sikhs au Québec ? Sauf si l’on prend le temps de les rencontrer et de parler avec eux ou de lire des ouvrages spécialisés sur ce sujet, force est de reconnaitre qu’on n’en sait pas grand-chose, surtout si l’on tient à avoir des informations locales et non uniquement générales sur cette religion et ses pratiquants.

Le temple sikh de LaSalle. Photo: Embargo

Le temple sikh de LaSalle. Photo: Embargo

C’est la raison pour laquelle je suis allé le 20 janvier 2019 à leur rencontre dans la région de Montréal, plus précisément au temple de LaSalle, le gurdwara Nanak Darbar, ouvert en janvier 2000[2]. Après avoir été présenté au responsable du temple et lui avoir exposé notre souhait de communiquer sur la religion sikhe en français telle qu’elle est pratiquée à Montréal, celui-ci invita quatre jeunes femmes[3] ayant étudié le français au Québec à répondre à mon entrevue dans une salle au-dessus de la salle principale des offices.

Avant de présenter cette entrevue, je précise quelques éléments contextuels. Selon Frédéric Castel, qui a écrit un article s’intitulant « Les sikhs du Québec »[4], les premiers sikhs arrivèrent au Québec en 1952. Ils auraient été une cinquantaine au début des années soixante et près de 1800 au début des années quatre-vingt. En 1984, la première ministre de l’Inde, Indira Gandhi, déclencha l’opération militaire « Blue star » contre un leadeur indépendantiste sikh penjabi, Jarnail Singh Bhindranwale, qui habitait dans le temple d’or d’Amritsar avec ses disciples depuis environ trois ans (Normand, 2017, p. 138). Cette opération militaire eut lieu en juin lors d’un jour de pèlerinage en commémoration de l’assassinat du premier Guru martyr Arjan et fit des centaines de victimes innocentes regroupées en hommage à Arjan (Normand, 2017, p. 139-140). Ce fut un choc profond pour tous les sikhs dont le temple central, bibliothèque incluse, fut attaqué et dévasté par des chars. Quelques mois après, le 31 octobre, les gardes du corps sikhs d’Indira Gandhi retournèrent leurs armes contre elle, qui décéda sur le coup. Une vague de massacres des sikhs s’ensuivit en Inde, notamment à New Delhi et, selon plusieurs commissions, elle fut organisée et planifiée par l’État central (Normand, 2017, p. 44), suscitant un exode de sikhs hors de l’Inde. Un précédent exode avait succédé à la partition du Penjab lors de l’indépendance de l’Inde, dont une partie s’était retrouvée au Pakistan et l’autre en Inde. Les autres massacres qui eurent lieu à cette époque, surtout entre hindous et musulmans, mais dont ne fut pas exempte la communauté sikhe, coïncident avec l’arrivée des premiers sikhs au Québec (Castel, 2007). Cela a d’ailleurs été le premier point évoqué par le collectif de femmes interviewées dont les propos sont transcrits ci-après :

— Qu’est-ce que le sikhisme pour vous ? Comment le vivez-vous ?

— Alors, premièrement, les sikhs viennent de l’Inde, dans le nord de l’Inde où la majorité des sikhs se situent. Ils sont maintenant dans plusieurs parties du monde. Ils sont aussi dans une partie du Pakistan, parce que dans le temps, il n’y avait ni Pakistan ni Inde, mais le Penjab a été séparé en deux, donc il y a une partie de l’ancien Penjab au Pakistan et une partie en Inde. La plus grosse partie est en Inde en ce moment, mais beaucoup de notre histoire et de nos temples se situent au Pakistan parce que le fondateur de la religion sikh, Guru Nanak, était né au Pakistan, mais dans le temps, il n’y avait pas de Pakistan, c’était l’Inde.

La majorité des sikhs de Montréal vont à quatre de ses temples, dont deux plus petits à Parc-Extension à Montréal. Celui de LaSalle est le plus grand à Montréal et il y en a un à l’ouest de l’ile, à Dollard-des-Ormeaux.

— D’accord et qu’est-ce que le sikhisme pour vous ? Comment le vivez-vous en fait ?

— Moi, personnellement, j’ai grandi depuis que je suis jeune dans l’environnement culturellement et religieusement sikh, mais plus tard, par ma décision propre, j’ai décidé de me faire baptiser, de porter le turban, d’avoir l’identité sikhe à l’intérieur et de l’affirmer à l’extérieur aussi. La raison qui m’a poussée à aller vers cette religion, en plus du fait de mes parents, c’est vraiment l’égalité entre les hommes et les femmes, ça, ça m’a vraiment motivée… On dirait que j’avais besoin de quelque chose dans ma vie qui me dirige vers un chemin, le sikhisme me sert chaque jour à avoir un chemin vers un but, ça m’aide à savoir où je dois aller, quel chemin je dois prendre et étant une femme, sachant que c’est difficile d’être une femme dans la société, là je trouve que j’y ai ma place.

– En quoi consistent les pratiques sikhes ?

– En fait, on a 5 K à porter, donc on porte le kirpan (poignard rituel) pour des raisons religieuses, c’est un article de foi. Il y a aussi le bracelet kara. Il a différentes significations, mais je dirais, pour prendre un petit exemple de la culture occidentale que c’est comme une bague pour se marier avec quelqu’un qui signifie que cela ne va jamais finir, ça continue. Alors ça, le kara, c’est comme une relation avec Dieu qui ne termine pas. Mais c’est aussi parce que la plupart sont droitiers, alors, lorsqu’on veut fumer ou prendre des drogues, ce qui est interdit dans notre culture et dans notre religion, on les prend avec cette main, alors le bracelet vous rappelle votre engagement. Il y a le khanga, c’est ce qu’on met sur notre tête, mais certaines personnes comme moi le gardent avec leur kirpan aussi, parce que ce n’est pas supposé s’enlever de mon corps, je suis supposée l’avoir sur moi. Alors des fois, si cela tombe avec le turban, on doit faire comme une prière pour demander pardon. Pour ne pas avoir à toujours le faire, je le porte sur mon kirpan pour ne pas qu’il tombe.

— Le khanga symbolise quoi ?

— Cela symbolise que l’on doit garder les cheveux, que l’on doit rester propre, hygiénique, parce que cela aussi, c’est vraiment important dans notre religion comme avant de prier. Le matin, on doit prendre une douche avant. Garder ses cheveux sans les couper, ça s’appelle le kesh, c’est le quatrième grand K. C’est aussi très important pour nous parce que Dieu nous a créés d’une certaine façon. Les cheveux, même si on les coupe, ça repousse toujours, donc c’est quelque chose qui ne peut jamais s’arrêter de pousser. Dans notre histoire, ils ont toujours sacrifié leurs vies pour garder l’honneur que symbolise en partie le fait de garder les cheveux. Donc ça aussi, ça fait vraiment partie de notre religion. Les ramener sur la tête, c’est protéger les cheveux aussi. Si on les laisse en bas, il y a plus de chances que cela devienne sale et il y a un gros risque que quelque chose les abime. Et ce sont les femmes et les hommes qui se couvrent la tête. C’est l’égalité. Si un homme peut porter un turban, alors moi aussi je peux porter un turban, car tout est égal ici. Il n’y a pas de règles du genre « parce que tu es une fille, tu ne peux pas faire ça ». Le 5e K c’est un kachera, c’est ce qu’on met en dessous de nos pantalons. Cela signifie contrôler sexuellement nos désirs, les accepter, mais les contrôler, on nous dit dans notre religion que c’est quelque chose de naturel, donc on ne dit pas que tu ne peux pas le faire, mais vraiment de le contrôler pour ne pas que cette relation te contrôle. C’est toi qui la contrôles d’une certaine manière, parce qu’il y a toujours un équilibre. C’est sûr que les relations sexuelles, ça fait partie de l’être humain, mais nous on dit que c’est vraiment à sa place après le mariage, donc c’est une manière significative de contrôler cet aspect.

— C’est possible aussi d’être sikh et pas « baptisé » comme vous le dites ?

— Oui, oui. Mes parents ne sont pas baptisés, mon père coupe ses cheveux, ma famille mange de la viande. Les sikhs baptisés doivent être végétariens, ne pas manger d’œufs et de poisson, mais on boit du lait. Les produits qui ne tuent pas les animaux, on peut en manger. Comme ma famille mange de la viande et tout ça, moi je suis la seule à être baptisée. Ils disent qu’ils suivent la religion, ils viennent au temple dans les occasions spéciales, mais ils ne portent pas le kirpan. Certains portent le bracelet, car c’est le plus facile, mais tout le reste ils ne le portent pas.

— À part le fait de porter ces 5 K, est-ce qu’il y a d’autres pratiques ?

— Oui, on doit faire une prière le matin d’une heure qui s’appelle Nitnem Sahib. On se réveille le matin vraiment tôt. Je pense qu’à ce moment-là, tout le monde est en train de dormir dans la société et pendant ce temps-là tu peux vraiment prier, te concentrer, tu ne vas pas penser, « oh! Je vais faire ça », ton attention va être vraiment sur la prière quotidiennement vers Dieu. Donc on doit même prier des hymnes chaque jour le matin. C’est sûr que c’est difficile. Par exemple, on va à l’université ou au Cégep, donc on n’est pas toujours prêt : mettons que des fois on ne le fait pas à cette heure, oui, il y a une heure, mais ce n’est pas obligatoire. C’est encouragé, mais c’est difficile.

— C’est une heure, la durée de la prière correcte. On a aussi une prière encouragée l’après-midi d’environ 20 minutes qui s’appelle Rehraas Sahib, puis après il y a le soir avant de dormir, ça s’appelle Sohila Sahib et cela dure environ cinq minutes. Ça, c’est vraiment important et c’est la base. Il y a aussi Simran comme un mantra avec le nom de Dieu qui peut se dire continuellement, par exemple si vous attendez quelque chose, dans le métro, etc.

— Ça, vous dites que c’est la base, donc cela veut dire que d’autres choses peuvent être construites sur cette base…

— Oui, il y a beaucoup de gens qui prient davantage. Il y a beaucoup de prières que vous pouvez ajouter selon votre journée. Ça, je dirais que c’est dur, spécialement dans cette société où les gens sont pris à l’école, au travail et ceux qui le font, personnellement, je les admire.

— Chacun avance à son niveau spirituellement, donc il n’y a pas de jugement…c’est comme on le veut, c’est une relation entre Dieu et la personne.

— Je ne vais pas aller demander à quelqu’un : alors, combien de prières as-tu faites ? C’est quelque chose de personnel. C’est comme demander, c’est quoi ton salaire. Ce n’est pas quelque chose qu’on demande.

— Alors c’est vrai que, comme moi je vous demande comment vous percevez cela, cela peut être indiscret ?

— Non, non. Nous, on encourage toute la société du Québec et les Québécois à venir dans nos temples et à découvrir notre culture. Nous, on a été à l’Université de Concordia. Il y a toujours un Sikh Heritage, c’est un évènement qui se situe dans le hall principal de l’Université. Alors on a le « turban day » où on est en train de mettre le turban pour ceux qui veulent participer, on donne de la nourriture gratuitement, on appelle ça « langar ». On donne ça en bas dans la cuisine du temple aussi, c’est ce qu’on a fait à Concordia aussi. C’est comme si on donnait l’expérience du sikhisme à tout le monde. On aime ça quand le monde est curieux, parce que sikhi veut dire apprendre. Quand je dis je suis un sikh, je dis je suis un étudiant, un élève, un disciple de gurus qui sont des messagers de Dieu. Il y a dix gurus, alors on apprend ce qu’ils ont écrit. C’est notre façon de vivre comme ça.

Intérieur du temple sikh de LaSalle. Photo: Embargo

Intérieur du temple sikh de LaSalle. Photo: Embargo

— Je ne sais pas si vous savez ce qu’est le langar ?

— Vous pouvez en dire plus, parce que même si tout à l’heure j’ai participé au langar en mangeant, je ne sais pas tout.

— De façon générale, comme vous avez remarqué, tout le monde s’assoit en bas en rang. Cela signifie que tout le monde est égal, que tu sois un homme ou une femme, quelle que soit ta culture, riche ou pauvre, on est tous égaux : on s’assoit tous par terre. C’est ça que nos gurus ont fait, c’est une des raisons pour lesquelles tout le monde s’assoit par terre pour aller contre ces choses ridicules que tu ne pourrais pas t’assoir à côté de moi parce que tu es pauvre, tout ça. C’est une façon de traiter tout le monde à égalité. Pour la nourriture, le langar, vous avez surement remarqué que n’importe qui peut venir, il n’y a pas de limites, tu ne dois pas payer quoi que ce soit, puis il y a des volontaires. Ce sont les volontaires qui font la nourriture dans la cuisine et ce sont les volontaires qui servent la nourriture à tout le monde. Donc n’importe qui peut y aller et dire « tiens, ça me tente de faire seva ». Seva, ça veut dire service personnel volontaire. C’est vraiment se connecter avec le communautaire. C’est vraiment thérapeutique quand on est en train d’aider, car cela rend vraiment humble. L’arrogance s’en va parce que vous êtes en train de servir le monde, laver la vaisselle dans laquelle le monde a mangé. Ça vous fait penser à qui vous êtes.

(M’adressant à deux répondantes n’ayant pas parlé)

— J’aimerais bien vous entendre sur ce qui vous touche plus particulièrement individuellement.

— On a une cérémonie chaque jour et beaucoup de jeunes y chantent.

— Parce que dans le Guru Granth Sahib, c’est un livre, mais pas comme un livre, c’est écrit d’une façon faite pour le chanter. Elle, elle chante, donc elle, elle en connait plus sur cela.

— On prend des parties et on interprète en chantant. On ne crée rien, on reprend juste ce qui est écrit et on le chante, parce que c’est déjà écrit pour être chanté. Personne ne l’a inventé. Dans le temps, c’était déjà comme ça, c’était fait pour chanter. Il y a des sortes de rythmes. On a 31 rythmes. Ça s’appelle raag.

— J’étais présent ce matin, j’aime beaucoup entendre chanter. (M’adressant à la dernière répondante n’ayant pas parlé) Et toi comment vis-tu le sikhisme personnellement ?

— Gatka, c’est un genre d’art martial. Les armes, c’est vraiment important dans notre religion. Il y a un grand respect, par exemple pour les épées. Nos gurus nous ont vraiment encouragés spirituellement, tu dois être fort, mais aussi de façon physique. C’est vraiment équilibré entre les deux. On a tous suivi des cours d’art martial. On a même des professeurs qui sont venus de l’Inde pour nous apprendre. On faisait des classes, car les sikhs sont aussi des guerriers. On a des parades de sikhs, on appelle ça nagar kirtan, en mai. C’est comme notre performance. C’est notre façon de célébrer. Quand il y a un mariage, on fait ça.

— Et toi, tu as pratiqué l’art martial ?

— Oui, comme elle avait dit, il y avait celui qui était venu nous apprendre, puis on faisait des fois les exercices, on prenait des épées en bois, on pratiquait. C’est un combat entre deux personnes. Il y a vraiment des formes, c’est pas juste comme frapper les bâtons, les pieds doivent être de telle façon, les mains aussi, c’est ça. Ils te donnent des trucs pour pouvoir te défendre. Nous, on est au niveau débutant, je dirais. Mais ici à Montréal, il y a des garçons de notre âge qui ont commencé jeunes, qui jouent maintenant et sont vraiment comme des experts.

— Toi, tu lis le Guru Granth Sahib en le chantant, est-ce que vous autres vous le lisez aussi ?

— Oui, nous aussi, on a déjà chanté avec des kirtan ici aussi. Puis n’importe qui peut le faire aussi. Quand on lit le Guru Granth Sahib, on le lit normalement, mais il y a comme des kirtan shabda, ça veut dire comme la chanson, pas vraiment la chanson, plutôt un hymne qui est déjà créé, alors ils le chantent. Mais sinon, il y a des gens qui écoutent le Guru Granth Sahib durant les services quand il y a des gens qui sont en train de le lire, juste ils l’écoutent. Dans le Guru Granth Sahib il y a un rythme, comme avec des rimes. C’est écrit d’une façon vraiment spécifique par nos gurus, comme pour un poème, ça rime.

— C’est tout le Guru Granth Sahib qui est lu dans les services ici, ou alors il y a juste certains passages ?

— On lit différents passages. On récite le Guru Granth Sahib dont le Japji Sahib (un des livres les plus lus du Guru Granth Sahib) lors d’un évènement de trois jours organisé par des familles qui font le seva pour cette occasion généralement au temple, mais aussi chez soi des fois, par exemple lorsqu’on a acheté une nouvelle maison, etc. C’est une façon de remercier en l’honneur de Dieu. Une chose que je trouve intéressante est que dans le Guru Granth Sahib, il n’y a pas juste que des sikhs, il y a aussi des auteurs de toutes les autres religions, qui parlent de l’Islam, de l’hindouisme, il y a même un musulman qui a écrit, donc les gurus ont toujours été ouverts. Personnellement, quelque chose qui me touche vraiment, c’est que la vérité n’est pas basée sur le fait que telle personne est de telle religion ou non, c’est vraiment la vérité, peu importe la religion, la culture. Donc, c’est pour ça que le Guru Granth Sahib est vraiment pour tout le monde. C’est ça qu’on dit toujours, le Guru Granth Sahib c’est pas juste pour les sikhs, c’est universel.

En conclusion, je voudrais remercier ces jeunes sikhes montréalaises qui ont accepté avec une grande ouverture de répondre à mes questions sur ce qu’est le sikhisme pour elles. Elles ont d’abord défini objectivement le sikhisme dans son inscription géographique penjabi et dans son rapport historique de Guru Nanak à nos jours. Elles ont ensuite souligné pour certaines d’entre elles l’importance de l’engagement sikh, l’amritdharï (elles l’ont nommé « baptême » pour traduire cet engagement religieux en des termes culturels plus accessibles à la culture québécoise), qu’elles assument et de ses symboles religieux des 5 K qui sont également des marqueurs identitaires visibles des sikhs pour le monde. Elles ont par la suite fait part des pratiques de prière et de mantra conseillés de manière non contraignante par la religion sikhe matin, midi et soir, ainsi que de cérémonies pour des occasions spécifiques. Enfin, elles ont partagé leur vécu subjectif et leur investissement plus particulier dans une discipline du sikhisme, un art martial pour l’une, les chants religieux pour une autre. À ce propos, selon Julie Vig qui avait fait un mémoire en sciences des religions sur la représentation des femmes sikhes de Montréal en 2009 et était allée à un gurdwara de New Delhi et au temple d’or d’Amritsar en Inde :

Bien qu’on ne puisse généraliser sur l’organisation de la vie religieuse des gurdwaras en Inde, nous savons qu’au gurdwara Darbar Sahib [Temple d’Or] aucune période régulière n’est réservée pour le chant religieux des femmes. Aussi, au gurdwara Bangla Sahib de Delhi, les femmes chantent les kïrtan uniquement les mercredis après-midi. Il nous apparait ainsi que la lecture quotidienne des textes religieux par les femmes au gurdwara Nanak Darbar semble constituer une transformation par rapport au contexte traditionnel et indique une ouverture de la part de l’institution à l’intégration des femmes à la sphère religieuse (Vig, 2009, p.160).

Ainsi, la pratique religieuse montréalaise sikhe au temple de LaSalle comme au gurdwara Nanak Darbar (située près de la station de métro Parc) tendrait, relativement à certains temples sikhs en Inde, à s’ouvrir à un idéal d’égalité homme femme qui fait non seulement partie des valeurs québécoises, mais aussi des valeurs des fondateurs du sikhisme, lesquelles s’en trouveraient vivifiées. Cet idéal égalitaire motive d’ailleurs particulièrement certaines de ces jeunes sikhes à s’engager plus activement dans leur religion et à l’intégrer en insistant sur cette dimension qui constitue en même temps un espace tiers (Bhabha, 2006) de valeurs communes — au moins en théorie de part et d’autre, car on sait qu’il y a des inégalités de genre en Inde et en Occident[5] — entre leur tradition religieuse d’origine et les valeurs séculières de la société québécoise. D’un côté, pour les sikhs et plus particulièrement pour les femmes, une plus forte reconnaissance au sein de leur tradition suppose d’accomplir l’idéal d’amritdharï[6], c’est-à-dire de s’engager à porter les 5 K, dont le fameux turban. D’un autre côté, pour la société civile, l’accès à certains postes d’autorité publique implique au Québec selon la loi 21 de ne pas porter de signes religieux ostentatoires. Malgré cette opposition apparente entre une autorité religieuse sikhe reconnue aux yeux de ses fidèles dans la mesure où sont portés certains symboles reconnaissables et une autorité publique reconnue à la condition de ne pas porter de signes ostentatoires, une volonté commune semble voir le jour de laisser davantage de place aux femmes dans l’espace religieux et public à Montréal. C’est en tout cas ce que je propose de retenir de cet échange avec ces jeunes sikhes.

— David Brême

Références


[1] Jean-Dominique Morency & al., « Immigration et diversité : projections de la population du Canada et de ses régions, 2011 à 2036 », Statistique Canada, 2017, <https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/91-551-x/91-551-x2017001-fra.htm>

[2] Monique Laforge, « Le Gurdwara Nanak Darbar, un temple sikh à LaSalle », Ville de Montréal, 2 juin 2017, <https://ville.montreal.qc.ca/memoiresdesmontrealais/le-gurdwara-nanak-darbar-un-temple-sikh-lasalle>

[3] Afin de rendre plus anonyme cette entrevue, aucun nom ou identifiant trop spécifique à une répondante n’est cité. De plus, certaines paroles distinctes ont été sciemment imbriquées, également afin de faciliter la lecture sous un angle plus thématique.

[4] Frédéric Castel, « Les sikhs du Québec », Relations, février 2007, <http://cjf.qc.ca/revue-relations/publication/article/les-sikhs-du-quebec/>

[5] D’après Vig, concernant la communauté sikhe, « malgré tous les apparents éléments de renforcement pour les femmes dans les écritures, plusieurs historien·nes, sociologues et anthropologues contemporain·es s’entendent pour reconnaître que les rapports homme-femme sont encore marqués aujourd’hui par une subordination des femmes sikhes par rapport aux hommes » (Vig, 2006, p. 72). La continuité des revendications des femmes en Occident, par exemple pour une égalité salariale, rappelle pour le moins que l’égalité de genres est davantage un idéal qu’une réalité dans un contexte séculier.

[6] D’après Vig, »le statut d’amritdharï […] semble néanmoins constituer, pour les femmes amritdharï, une ouverture susceptible de leur paver la voie vers les positions d’influence [administration, granthi]. » (Vig, 2006, p. 152)

Aussi


Homi K. Bhabha. 2006. « Le tiers-espace ». Multitudes 26.

Frédéric Castel. 2007. « Les sikhs au Québec ». http://cjf.qc.ca/revue-relations/publication/article/les-sikhs-du-quebec/, consulté le 13 mars 2019.

Denis Matringe. 2008. Histoire et tradition des « Lions du Panjab ». Éditions Albin Michel, Paris.

Laurence Normand. 2017. L’incidence des représentations des événements de 1984 en Inde sur la construction identitaire de la communauté sikhe montréalaise. Mémoire de maîtrise en sciences des religions. UQÀM.

Julie Vig. 2009. Femmes et sikhisme à Montréal : le cas des représentations des femmes et des rapports homme-femme. Mémoire de maîtrise en sciences des religions. UQÀM.

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