Julien Gagné et Basta : Caissier Concierge

Critique culturelle.
Julien Gagné et Basta

Caissier Concierge (2016). Visuel: Olivier Gingras.

Près d’un an après Contre-Courage, opus de cinq titres aux sons variés mais à l’unicité certaine, traitant de perte, d’amour, de peur et du désespoir d’un travailleur épuisé suit Caissier Concierge, un album plus long, plus précis, plus mature et d’une puissance inouïe. Julien Gagné et Basta (le nouveau nom de la formation) nous servent ici un EP sérieux qui shake les stabilités sociales intrinsèques de la classe des plus hauts placés, et ce, dès la première chanson. Intitulée Caissier Concierge 1, elle n’hésite pas à faire un clin d’œil à La tour, l’une des pièces de l’album précédent. Elle place le contexte comme on ouvre une histoire qui se dévoilera à mesure de chaque chanson. Sans être un album thématique à part entière, le fil conducteur y est manifeste : la résilience.

S’il faut parler du concret, c’est ici qu’on le fait avec la plus grande honnêteté, dépourvue des effets de styles qui éloignent l’attention des mots, quand les mots ne la méritent pas. Julien Gagné est un syndicaliste passionné, parolier depuis une adolescence que l’on sent bien loin derrière. Avec le temps, elle s’est transformée en rigueur, en écoute de soi et en urgence, lui permettant d’affronter les plus dures vérités avec conviction, en étant parfois cynique, parfois ironique…

Aussi brillant que tous les planchers qu’il a essuyés, et que le Conseil des arts et tous les refus qu’il lui a fait essuyer.

Paroles de Julien Gagné

C’est ce qu’il admet dans le premier morceau. Le fait est qu’il est probablement question, admettant que l’on prenne les paroles au pied de la lettre, du dernier album que Julien Gagné et Basta comptent nous offrir. Et c’est dommage.

Pièce par pièce

Caissier Concierge 1

Minimaliste au plus haut point, l’ouverture de l’album se fait façon voix et violoncelle. Elle est simple, parlée, autobiographique comme la plupart des chansons de Gagné. Le rappel d’un rêve effrité et la volonté d’évasion d’un travailleur entouré de déchets, humains ou autres, trouvent facilement écho chez quiconque s’est déjà fait chier dans une job dégradante. On annonce que ce sera la dernière fois que le caissier concierge s’adressera à nous.

J’essaie encore

Angoisse d’un insomniaque éternellement anxieux, la chanson fait tout de même taper du pied, comme le pendule d’une horloge dont le son refuse le sommeil à l’auditoire. La frustration de ne pas s’affranchir de ses démons tapisse aussi le récit qui, parfois, s’envole, cauchemardesque et cru. Julien Gagné, dont la voix flirte avec l’univers post-punk par ses cris qui ne veulent pas être beaux mais bien virulents, crache une tourmente poétique dont plusieurs passages sauront marquer l’imaginaire dès la première écoute.

Chez toi comme chez moi

Cette pièce à la progression impressionnante a de quoi rendre jaloux celui ou celle qui tente de poétiser une séparation. Les musiciens impeccables et la mélodie en osmose avec le propos suscitent immanquablement le frisson. Nous sommes impuissantes et impuissants devant cette histoire d’une triste beauté , aussi habilement déballée que les textes les plus émouvants de Desjardins, piano à l’appui et violoncelle tout en lamentations… et puis « la tempête s’amène » : plus le parolier le répète, plus on le sent.

Les bons sentiments

Récit d’une prise de conscience sociale difficile, expliquée comme à un ami, franc et sarcastique par moments, au rythme entrainant et — on le devine — libérant vers la fin un fiel plus rock, complètement désillusionné : « les hommes entrent dans le monde avec leurs souliers sales pour dire « c’est à moi! », pour tout gâcher ». Bien qu’il apporte une certaine légèreté la chanson, on pourra néanmoins questionner le choix du tambourin, qui fait une apparition brève et quelque peu maladroite. Les bons sentiments ne perdent pas de leur impact et le contraste musical entre le début et la fin de la chanson est saisissant.

Le concret

Une lourde ligne de basse accueille peut-être la plus belle mélodie de l’album, servie au violoncelle par Julien Thibault. Tantôt surréaliste, tantôt festive et « jumpy », la cinquième pièce arrive au parfait moment; procure un regain d’énergie bienvenu, soutenu par une guitare électrique corrosive; et prend des allures d’ode à la résistance. Les paroles, dignes d’un vers d’oreille de qualité, sont scandées – voire beuglées – par les membres de Basta : « Ressusciter Allende! Une vraie révolution qui n’est pas scrappée par les États-Unis ». Il s’agit d’un cri du cœur féroce et juste assez rancunier envers un monde terne qui encourage le terne.

Le concret
par Julien Gagné et Basta

Photo : Fanny Basque

Un abri

Vieux camarade de Julien Gagné et bassiste sur cet album (quoique ses prouesses ne se limitent pas à cet instrument), Jean-Pascal Carbonneau signe ici la mélodie la plus douce, la plus intime de l’opus — il agit d’ailleurs à titre de compositeur sur toutes les pièces qui s’y retrouvent. L’avant-dernier morceau est empreint d’espoir et le leadeur de la formation est toujours grandement habité par ce qu’il raconte. Le résultat en est désarmant d’humilité. Grand texte.

Caissier Concierge 2

On ferme les livres avec un retour musical et lyrique à la première pièce de l’album. Julien Gagné, nouvellement père, dédie cet EP à son enfant, et s’adresse à lui ici de manière lucide et émouvante, sans compliquer les mots : « Tu verras, fiston, que ton papa était un homme exceptionnel, presque aussi grand que toi, le plus grand caissier concierge ». Encore une fois, la résilience est présente, superbe et courageuse. Ça clôt l’album de manière viscérale, dans le plus grand amour possible, et la musique de Basta s’installe pour une dernière fois, comme pour épiloguer le tout et faire rêver encore.

Pourquoi une critique aussi étoffée pour un album de sept chansons? Parce que Julien Gagné et Basta, on n’en a pas entendu parler, ou du moins très rarement, et pourtant, le matériel qui sort de ces têtes-là est tout simplement renversant. Il est difficile, dans le spectre culturel du Québec actuel, de confronter notre confort ridicule et d’admettre qu’on se nourrit du vide et de la répétition. Il est bien plus simple d’oublier que certainEs auteurEs tentent de révolutionner la musique par la parole. L’album est disponible sur la page bandcamp de la formation, pour le prix dérisoire de 7 $ et l’écoute sur place des chansons est entièrement gratuite.

Photo : Fanny Basque

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